villa Noailles, Hyères, France
28 juin – 1er septembre 2024
🎉 Vernissage : 27 juin
Exposition personnelle des travaux de Yassine Ben Abdallah organisée par la villa Noailles, en partenariat avec le Cirva

Vue de l’exposition personnelle de Yassine Ben Abdallah « À l’ombre de l’Empire », villa Noailles, Hyères, France, 28 juin – 1<sup>er</sup> septembre 2024. 
© Yassine Ben Abdallah, photo © Camille Lemonnier / villa Noailles

Vue de l’exposition personnelle de Yassine Ben Abdallah « À l’ombre de l’Empire », villa Noailles, Hyères, France, 28 juin – 1er septembre 2024.
© Yassine Ben Abdallah, photo © Camille Lemonnier / villa Noailles

C’est une histoire de circulations, de processus de créolisation, de fantômes, d’oppression, de détournements et de présences invisibilisées mais agissantes, que le designer Yassine Ben Abdallah nous invite à percevoir avec les œuvres, Pile Plate, Vase Varangue et Ombre blanche. Elles évoquent les après-vies du monde colonial, fait de dominations et de déshumanisation, d’exploitation et de misère, mais dont l’hégémonie n’est jamais totale car elle se heurte à des résistances, des dérivations, des phénomènes de fuite et de réappropriation.
Ainsi le rhum, symbolisé ici par la « Pile Plate », nom donné à un contenant créé en 1988 et dont le degré d’alcool était de 49%. Célébré sur l’île de La Réunion par la « Saga du rhum », établissement dit « touristique et culturel à visée éducative », le rhum est plutôt l’emblème du monde de la plantation esclavagiste hier et des grandes corporations capitalistes aujourd’hui. Les plantations de cannes à sucre dont il est issu, ont justifié l’asservissement, appauvri les terres, détruit l’environnement. Le rhum a été une arme de destruction coloniale des âmes et des corps. En transformant cet instrument d’oppression en un élément indispensable et central des rites afro-malgaches aux ancêtres esclavisé·es qui n’ont cessé de fuir la plantation, les Réunionnais·es ont démontré la force des pratiques populaires indisciplinées. C’est ces paradoxes que l’artiste met ici en scène.
Vase Varangue et Ombre blanche reposent toutes deux sur la technique de la porcelaine, cet art connu des Chinois depuis le VIIe siècle qui enflamma l’esprit des têtes couronnées de l’Europe entière quand Marco Polo en rapporta de son voyage en Chine au XIIIe siècle. Ce ne sera qu’au XVIIIe siècle, que l’Europe percera le secret de la technique de la céramique blanche, fine et translucide, devenue depuis un objet de désir et de collection, un cadeau de mariage et d’échanges diplomatiques.
Avec Vase Varangue, Yassine Ben Abdallah fait converser deux techniques qu’une hiérarchie de classe oppose : l’artisanat populaire du tressage de vacoa et l’artisanat d’art de la porcelaine, et deux espaces, la véranda, ce salon d’extérieur des grandes maisons créoles blanches où les services en porcelaine marquaient le statut social et racial et l’arrière-cour où se tressaient les objets en vacoa, un art pratiqué par des femmes de classes populaires. Deux matières, l’une minérale et fragile, l’autre, végétale et solide, deux couleurs, le blanc, signe de la pureté et le brun d’une impureté, selon la nomenclature raciale de l’Occident. Deux mondes qui s’affrontent car marqués par l’inégalité sociale et racial qui les définit et l’espace liminal qui les met en contact. Le monde de la vanne en vacoa à la fois coupe et tient le monde de la porcelaine, mettant en lumière ce qui est souvent invisibilisé, l’apport des peuples non-européens au monde « blanc ».
Il n’était pas rare de trouver dans la vaisselle française — sucriers, soupières, assiettes, tasses à café — des représentations de personnes esclavisées. La soupe pouvait être versée sur des êtres humains noirs enchaînés sur fond de champs de canne à sucre, le café pouvait être servi avec un sucrier rendant hommage à l’esclavage qui de fait, rendait possible l’accès à une marchandise si désirée. Ainsi, était normalisé un crime contre l’humanité. Découvrant cette éducation au racisme par la vaisselle, c’est-à-dire dans des objets usuels et familiaux, Yassine Ben Abdallah a voulu faire apparaître comment se fabrique ce qui est visible et ce qui est invisibilisé. Ombre blanche est une réplique du vase de Clermont, souvent utilisé comme cadeau diplomatique car symbole de l’excellence à la française, assemblé à l’assiette Diane, une des pièces du service de l’Élysée. À l’intérieur de cette porcelaine translucide, Yassine Ben Abdallah a fait graver des figurines racistes qui ornaient la vaisselle de la bourgeoisie. Pour les voir, il faudrait briser le vase. L’artiste nous invite à comprendre que ce que l’Europe voudrait cacher, sa responsabilité devant les siècles de traite et d’esclavage colonial, est là, juste sous la surface. Point n’est besoin de chercher loin, il faut juste réapprendre à regarder ce qui est sous nos yeux.
Avec ces trois œuvres, Yassine Ben Abdallah nous interroge, de manière subtile, sur ce que nous sommes prêt·es à voir, ce dessous des choses qu’il suffit en fait de ne pas avoir peur de découvrir.
— Françoise Vergès. Autrice, féministe et antiraciste, Françoise Vergès a notamment écrit l’ouvrage Programme de désordre absolu. Décoloniser le musée (la Fabrique éditions, 2023).


Les œuvres en verre présentées dans l’exposition ont été réalisées dans le cadre d’une résidence de recherche au Cirva.

⚙️ Informations pratiques

28 juin – 1 septembre 2024
Villa Noailles
Montée de Noailles, 83400 Hyères, France

🔗 Liens
Photographie de Yassine Ben Abdallah par Souleymane Bachir Diaw, réalisée pendant la résidence de l’artiste au Cirva en 2024.

Souleymane Bachir Diaw, Yassine Ben Abdallah au Cirva, 2024.
© Souleymane Bachir Diaw

Yassine Ben Abdallah, *Pile Plate*, 2024, production / réalisation Cirva, Marseille. Vue de l’exposition personnelle « À l’ombre de l’Empire », villa Noailles, Hyères, France, 28 juin – 1<sup>er</sup> septembre 2024. 
© Yassine Ben Abdallah, photo © Camille Lemonnier / villa Noailles

Yassine Ben Abdallah, Pile Plate (détail), 2024, production / réalisation Cirva, Marseille. Vue de l’exposition personnelle « À l’ombre de l’Empire », villa Noailles, Hyères, France, 28 juin – 1er septembre 2024.
© Yassine Ben Abdallah, photo © Camille Lemonnier / villa Noailles

Yassine Ben Abdallah, *Pile Plate*, 2024, production / réalisation Cirva, Marseille. Vue de l’exposition personnelle « À l’ombre de l’Empire », villa Noailles, Hyères, France, 28 juin – 1<sup>er</sup> septembre 2024. 
© Yassine Ben Abdallah, photo © Camille Lemonnier / villa Noailles

Yassine Ben Abdallah, recherche pour Vase Pile Plate, 2024, production / réalisation Cirva, Marseille. Vue de l’exposition personnelle « À l’ombre de l’Empire », villa Noailles, Hyères, France, 28 juin – 1er septembre 2024.
© Yassine Ben Abdallah, photo © Camille Lemonnier / villa Noailles

Yassine Ben Abdallah, *Pile Plate*, 2024, production / réalisation Cirva, Marseille. Vue de l’exposition personnelle « À l’ombre de l’Empire », villa Noailles, Hyères, France, 28 juin – 1<sup>er</sup> septembre 2024. 
© Yassine Ben Abdallah, photo © Camille Lemonnier / villa Noailles

Yassine Ben Abdallah, Pile Plate, 2024, production / réalisation Cirva, Marseille. Vue de l’exposition personnelle « À l’ombre de l’Empire », villa Noailles, Hyères, France, 28 juin – 1er septembre 2024.
© Yassine Ben Abdallah, photo © Camille Lemonnier / villa Noailles